LawFlash

La Contribution pour la justice économique: Vers une nouvelle approche payante de la justice commerciale?

29 janvier 2025

Depuis le 1er janvier 2025, les Tribunaux des activités économiques (TAE) se sont substitués, à titre expérimental, à douze Tribunaux de commerce, et une contribution pour la justice économique (CJE) a été introduite.

La justice commerciale française vient de connaître un changement majeur avec la création de douze Tribunaux des activités économiques (TAE), venant remplacer les Tribunaux de commerce dans les villes d’Avignon, Auxerre, Le Havre, Le Mans, Limoges, Lyon, Marseille, Nancy, Nanterre, Paris, Saint-Brieuc et Versailles [1] . Prévu par l’article 26 de la loi n° 2023 1059 du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023 2027, ce dispositif s’appliquera pendant quatre ans à titre expérimental, c’est-à-dire du 1er janvier 2025 au 31 décembre 2028.

Ce choix d’inclure les juridictions de Paris et de Nanterre dans la réforme des TAE n’est pas anodin pour le monde des affaires, puisque les entreprises ayant leur siège social à la Défense ou dans la capitale vont être soumises à ces nouvelles règles dès à présent.

Surtout, cette réforme des TAE impose, également à titre expérimental, le paiement d’une contribution pour la justice économique (CJE) à certaines conditions pour les litiges commerciaux.

EXPLICATION ET ANALYSE DE LA CONTRIBUTION POUR LA JUSTICE ECONOMIQUE

Les conditions d’application de la CJE

La CJE ne s’applique qu’aux affaires introduites après le 1er janvier 2025 devant l’un des douze TAE. À cet égard, la création des douze TAE ne vient pas remettre en cause les clauses contractuelles de compétence conclues entre deux commerçants, qui peuvent donc décider que leur litige sera traité dans le ressort d’un Tribunal de commerce et non un TAE. En revanche, en l’absence d’une clause valable, la saisine d’un Tribunal de commerce incompétent entraînera le renvoi vers le TAE compétent avec déclenchement de l’obligation de payer la CJE.

Les instances déjà en cours ne sont donc pas concernées.

En outre, la CJE n’est pas demandée pour les instances relatives aux entreprises en difficulté ou de prévention des difficultés.

Les conditions cumulatives pour être redevables de la CJE sont les suivantes :

  • La demande initiale – c’est-à-dire celle, présente dans l’assignation qui introduit l’instance – doit être supérieure à 50.000 €, sans tenir compte des frais de procédure qui ne sont pas inclus dans le calcul;
  • Le demandeur doit être une personne morale employant, au jour de la demande, plus de 250 salariés;
  • Le demandeur :
    • (Hypothèse n°1) a réalisé un chiffre d’affaires annuel moyen sur les trois dernières années supérieur à 50 millions d’euros [2] et un bénéfice annuel moyen sur les trois dernières années supérieur à 3 millions d’euros ;
    • (Hypothèse n°2) a réalisé un CA supérieur à 1,5 milliard d’euros (sans que le bénéfice ne soit à considérer).

Aucune contribution n’est donc due pour les « petits » litiges ou pour les entreprises ayant un chiffre d’affaires et des bénéfices inférieurs aux barèmes prévus.

Ces conditions appellent plusieurs remarques.

Tout d’abord, cela semble signifier que les demandes d’un montant indéterminé sont exclues de l’obligation de payer cette contribution, quand bien même le montant déterminé postérieurement par le tribunal serait supérieur.

Ensuite, les montants présents dans les demandes incidentes (demandes reconventionnelles, additionnelles ou en intervention) sont exclus : le dépassement du seuil de 50.000€ des demandes après l’ouverture de l’instance ne rend pas le demandeur redevable de la contribution.

Enfin, en cas de pluralité de demandeurs remplissant les conditions d’application de la CJE, chacun doit individuellement procéder au paiement d’une CJE. Toutefois, les personnes procédant à une intervention volontaire en demande après l’ouverture de l’instance ne sont pas concernées.

En tout état de cause, compte tenu des grands changements qu’entraînent la réforme des TAE pour les entreprises, il est conseillé de préparer en amont des litiges une liasse fiscale ou autre document comptable contenant à la fois les éléments comptables et le nombre d’employés sur les trois dernières années.

Le calcul et le paiement de la contribution

Le greffe du TAE a la charge de déterminer si la contribution est due et, le cas échéant, il détermine son montant.

En vertu de l’article 3 du décret n° 2024-1225 du 30 décembre 2024, ce montant représente :

  • 3% du montant de la demande initiale lorsque le chiffre d’affaires annuel moyen est inférieur ou égal à 1,5 milliard d’euros.
  • 5% du montant de la demande initiale si le chiffre d’affaires annuel moyen est supérieur à ce montant,
  • avec un plafond de 100.000€.

Pour calculer la contribution, le demandeur a l’obligation de communiquer au greffe les éléments nécessaires à la vérification de ces montants au moment de l’enrôlement de l’affaire, c’est-à-dire au moins huit jours francs avant la première audience [3] .

Le greffe a jusqu’à la date de la première audience pour communiquer le montant de la contribution due par le demandeur. Le décret ne précisant pas de délai fixe pour s’acquitter du paiement, il faut supposer que le demandeur dispose d’un délai raisonnable pour procéder au paiement de la contribution, lequel peut être effectué en personne au guichet du greffe du TAE, ou en ligne via le site https://www.tribunaldigital.fr/. Toutefois, des sanctions étant prévues en cas de non-paiement (voir ci-dessous), il est recommandé de procéder le plus promptement possible à ce paiement.

Il est important de noter que le paiement par le demandeur de la contribution n’est pas définitif, puisque la contribution peut être soit remboursée, soit mise à la charge finale du perdant.

Ce remboursement de la contribution est prévu dans deux cas : (i) en cas de désistement d’instance, et (ii) en cas de transaction conclue après une conciliation ou des arrangements amiables entre les parties. Il est cohérent avec l’objectif de valoriser les modes alternatifs de règlement des différends et d’inciter les entreprises et commerçants à recourir à l’amiable.

Toutefois, le délai de remboursement de la contribution n’est pas précisé à ce jour. En outre, l’incompétence d’un TAE au bénéfice d’un Tribunal de commerce, où la CJE n’est pas due, n’est pas l’une des hypothèses envisagées par les textes. Dans le silence de la loi, il semble donc que le demandeur qui a saisi le mauvais tribunal doive se désister et réassigner devant la bonne juridiction pour être remboursé de son paiement – perdant au passage le bénéfice de l’interruption de la prescription.

En outre, si aucun des deux cas de remboursement ne s’applique, la CJE suivra les règles relatives aux dépens, prévus aux articles 695 et 696 du Code de procédure civile : la charge finale des frais de justice et des dépens est à la charge de celui qui succombe, sauf exception qui doit être justifiée et motivée par le juge.

À cet égard, le fait que la contribution soit évaluée en fonction des capacités financières du demandeur et non du défendeur risque d’imposer une charge financière lourde à ce dernier, s’il succombe.

LES SANCTIONS PREVUES

La sanction en cas de non-paiement de la contribution

La sanction prévue en cas de non-paiement de la CJE est sévère, puisque ce défaut constitue une fin de non-recevoir qui peut être prononcée d’office par le juge. Il n’est, en revanche, pas précisé si le défendeur est tenu informé du paiement et s’il peut donc lui aussi soulever cette fin de non-recevoir.

Lorsque cette fin de non-recevoir est prononcée, le demandeur dispose d’un délai de quinze jours à compter de la date de la notification de la décision d’irrecevabilité pour payer la somme. Après ce paiement, l’article 7 du décret n° 2024-1225 du 30 décembre 2024 indique que « le juge, saisi par le demandeur . . . la rétracte sur justification du versement de la contribution ».

Le décret ne précise cependant pas les conditions de cette saisine, ni si elle entraîne des frais de justice supplémentaires.

La sanction en cas de tentative de contournement de la CJE

La loi du 20 novembre 2023 a créé à son article 27 une nouvelle sanction à l’encontre la partie ayant un comportement dilatoire ou abusif avec une amende civile d’un montant maximum de 10.000€.

L’article 32-1 du Code de Procédure civile, s’appliquant à toutes les procédures en justice, prévoyant déjà une amende civile d’un montant maximum de 10.000€ en cas d’action en justice dilatoire et abusive, il faut supposer que l’amende civile nouvellement créée cherche précisément à sanctionner les demandeurs redevables de la CJE qui tenteraient d’échapper à leur obligation de paiement de la contribution. Les deux amendes civiles pourraient donc se cumuler.

S’il peut donc sembler tentant pour les entreprises de former une demande initiale inférieure à 50.000€ avant de présenter des demandes additionnelles pour compléter la demande, cela est doublement risqué :

  • d’une part, le tribunal pourrait considérer cette mesure comme dilatoire ou abusive et prononcer une amende civile,
  • d’autre part, il existe un risque que le défendeur acquiesce à la demande avant que le demandeur n’ait eu le temps de former ses demandes additionnelles, le privant de l’opportunité de demander les sommes réellement réclamées.

Le même risque existe en cas de pluralité de demandeurs, si certains s’accordent pour ne pas participer à la demande initiale mais interviennent volontairement ensuite.

La mise en place de telles sanctions dissuasives semble cohérente avec la priorisation actuelle des règlements extrajudiciaires des litiges, que ce soit par des modes alternatifs de règlement des différends (MARD) ou par le recours à l’arbitrage.

La mise en œuvre de ce dispositif n’a pas fait pas l’unanimité et a été vivement critiquée par le Conseil National des Barreaux (CNB), qui a adopté une résolution le 21 janvier 2025 pour demander son retrait .

Le même jour, le Conseil de l’ordre des avocats au Barreau de Paris a voté en faveur du dépôt d’un recours devant le Conseil d’État contre le décret n° 2024-1225 du 30 décembre 2024 mettant en place l’expérimentation de la contribution pour la justice économique , qui devrait être déposé dans les jours à venir.

L’avenir de cette contribution reste donc, à ce jour, incertain.

Ines Chaudonneret et Marion Duval a contribué à ce LawFlash.

Contacts

Si vous avez des questions ou souhaitez plus d’informations sur les questions abordées dans ce LawFlash, veuillez contacter les personnes suivantes :


[2] Dans le silence de la loi, il peut être supposé que ces seuils ne s’appliquent qu’aux activités en France et non au niveau mondial. En outre, cela semble signifier que les sociétés étrangères n’exerçant pas d’activité en France mais assignant devant les juridictions françaises sont exemptées de cette contribution – et seraient donc avantagées par rapport aux entreprises françaises.

[3] Il demeure toutefois certaines incertitudes, notamment quant à la durée de conservation des éléments communiqués au greffe ou au calcul du chiffre d’affaires et des bénéfices des sociétés qui n’ont pas finalisé leurs comptes N-1 au moment de l’introduction de la demande.

[4] Dans le cadre de cette résolution, le CNB critique non seulement le fond mais aussi la forme de la mesure visant à instaurer la contribution, laquelle porterait notamment atteinte « au principe d'égalité entre les justiciables ».