Il peut être complexe d’obtenir l’exequatur de décisions américaines en France car ces décisions peuvent ne pas faire figurer clairement leur motivation, qui est une des conditions requises par le juge français pour l’obtention de l’exequatur. Les juges français acceptent cependant que soient produits des documents équivalents qui permettent de les éclairer sur la motivation de la décision américaine. Les difficultés liées à l’exequatur (c’est-à-dire l’exécution en France de jugements étrangers) des jugements américains rendus par un jury civil (« jury trial ») ont récemment été mises en lumière par un arrêt de la Cour d’appel de Reims.
En l’espèce[1], un distributeur américain de champagne français a poursuivi son fournisseur en responsabilité, devant un tribunal fédéral new-yorkais, pour rupture fautive du contrat et un jury a condamné le défendeur à 1,5 millions de dollars en dommages et intérêts.
Le demandeur a alors cherché à faire exécuter cette décision en France, souhaitant probablement viser les actifs du défendeur sur le territoire français, où il avait son siège.
Traditionnellement, en l’absence de convention internationale entre la France et le pays où a été rendue la décision (ici les Etats-Unis), la jurisprudence française pose trois conditions à la reconnaissance des décisions en France[2] : (1) le juge étranger doit avoir été compétent pour trancher, (2) la demande devant le juge étranger ne constituait pas une fraude à la loi et au jugement, c’est-à-dire que le demandeur ne voulait pas sciemment contourner le droit véritablement applicable pour obtenir un jugement plus favorable et (3) le jugement doit être conforme à l’ordre public international français, tant sur le fond que sur la procédure, ce qui implique le respect du droit à un procès équitable, du contradictoire et de l’impartialité des juges. Cette dernière condition implique aussi que la décision étrangère soit motivée.
En l’espèce, c’était ce dernier point qui posait une difficulté.
En effet, les juridictions françaises ont débouté le fournisseur de sa demande d’exequatur de ce jugement américain, en soulignant le défaut de motivation de la décision étrangère.
Le demandeur ne produisait que (1) le jugement (d’une seule page sans motivation) confirmant le verdict du jury, (2) le jugement ultérieur amendé fixant des intérêts de retard (et pas davantage motivé), (3) le formulaire contenant le verdict (« verdict form ») et (4) une opinion du juge fédéral américain, postérieure au jugement initial et ne portant que sur la question de la fixation des intérêts. Aucun de ces documents n’expliquait comment le jury était parvenu à sa décision de condamnation.
Ce n’était pas satisfaisant pour le juge français qui, s’il lui est fait interdiction de rejuger l’affaire, doit s’assurer que la décision dont l’exequatur est demandé a bien été motivée. Dans le cas présent, le juge français n’a ainsi pas pu comprendre pour quelles raisons un verdict condamnant le défendeur avait été rendu par la juridiction américaine.
La question est délicate car, contrairement aux jugements traditionnels français, qui sont rendus par un juge et comportent une motivation au sein même de la décision, les jugements américains rendus par un jury civil (« jury trial ») ne comportent généralement pas l’inventaire complet de toutes les raisons ayant motivé le verdict du jury, outre les informations présentes dans le formulaire contenant le verdict (« verdict form »).
Cela ne signifie-t-il qu’il est impossible de faire exécuter en France des décisions américaines rendues par un jury et qu’il faut se contenter des décisions américaines rendues par un juge (« bench trial »), lesquelles sont plus semblables aux jugements français? Heureusement non, car la jurisprudence française a développé la notion de documents équivalents pouvant contenir, en dehors du jugement lui-même, la motivation de la décision étrangère[3].
En d’autres termes, les juges français admettent que la partie réclamant l’exequatur puisse produire des documents annexes, qui servent d’équivalent à la motivation qui aurait dû être présente dans le jugement.
S’il n’existe aucune liste précise de ces documents équivalents, les juges français ont pu valider l’utilisation des documents suivants :
Il est essentiel pour la partie demanderesse de produire plusieurs documents, antérieurs au jugement dont l’exécution est demandée et traduits en français.
Les demandeurs peuvent également envisager de produire dans la procédure française une consultation d’un avocat américain décrivant les étapes et les caractéristiques d’un « jury trial » et expliquant comment sont garantis les droits des parties et comment est motivée la décision finale.
Dans l’affaire de la Cour d’appel de Reims, le demandeur n’avait ni produit de documents équivalents probants ni satisfait à l’ensemble des conditions précitées. Il est donc normal qu’il ait été débouté.
Ce précédent doit cependant inciter à la prudence. La partie réclamant l’exequatur ne doit pas présumer que les jugements rendus par un jury civil (« jury trial ») seront automatiquement exécutables en France. La demande d’exequatur entraine à la fois des coûts et des aléas.
Les parties souhaitant obtenir l’exécution en France d’un jugement américain favorable rendu par un jury civil devront veiller à communiquer au juge français plusieurs pièces significatives du procès américain. Ainsi, le juge français sera en mesure de saisir les spécificités d’un « jury trial » américain, de comprendre la chronologie du procès et de déterminer le raisonnement ou la motivation du jugement, qui pourra par conséquent être exécuté en France.
Le cabinet Morgan Lewis est naturellement à votre disposition pour toute question relative à l’exécution des décisions américaines (ou plus généralement étrangères) en France.
Ines Chaudonneret a contribué à ce LawFlash.
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[1] Cour d'appel de Reims, 23 janv. 2024, n° 23/00971. À noter que, selon nos informations, un pourvoi en cassation aurait été formé contre cette décision, si bien que la Cour de cassation se prononcera prochainement sur cette question.
[2] Selon l’arrêt de principe Cornelissen : Cass. civ., 1ère, 20 févr. 2007, n° 05-14.082.
[3] Deux arrêts de principe ont ainsi structuré la jurisprudence française actuelle : Cass. civ., 1ère, 17 oct. 1972, n° 71-12.616 et Cass. civ., 1ère, 28 nov. 2006, n° 04-19.031.